Une nouvelle écrite en seconde (ma seconde seconde, ba oui faut préciser)

Publié le par Alga

 

                

 

 

 

 Ce dessin est 58 fois plus petit que le tableau de la Joconde, et ce dernier doit  valoir dans les 30 millions.

Si je m’appelais Léonard de Vinci , cette case de bande dessinée (intitulé « seul dans la prairie ») s’arracherait à environ 500 mille euros.

Pour vous montrer la différence , pour une B.D de soixante vignettes, je touche une rémunération de 500 euros, donc la case d’une de mes bédés me rapporte (environ) 8 euros. A partir de là, je pense pouvoir affirmer que le monde n’est pas juste. Car la Joconde de Léonard de Vinci vaut à quelques roupilles près 375 000 « seul dans la prairie » de Hugo Lebeau (Hugo c’est moi)

 

 

 

Mais je vais avoir le temps de les faire ces 375 000 dessins.

Pourquoi ? Bon je vous raconte , j’ai le temps.

 

 

 

     Pour me présenter, je commencerai par dire que je suis un Breton de naissance et un Parisien dans l’âme, que je suis un célibataire endurci, et enfin que pour travailler dans le monde de la bédé et aller à Paris je me suis brouillé avec mes parents.

 

 

 

Je réside donc à Paris depuis prés de trois hivers. Il y a juste un an, j’ai décroché mon premier travail dans la bande dessinée, depuis ce jour, j’ai compris que pour être auteur de bédé il faut du talent, mais surtout du courage, de la persévérance et un estomac bien formaté aux 5 kilos de pâtes Lustucru hebdomadaires. Parce que c’est un travail bien mal payé, mais, comme dit si bien mon rédacteur en chef, « quand on aime, on ne compte pas. »

 

Chez Delcort,  je suis dessinateur de bédé.Ca vous en bouche un coin .Mais je ne suis employé qu’au journal, je fais des bédés frustrées. C’est ainsi que l’on nomme les bédés qui ne sont pas publiées en album cartonné. Et pourtant, j’ai de quoi donner du travail aux imprimeurs, entre mes 45 gags de Monsieur Potatoes et les aventures de Lucas la guerrière, je pourrai en vendre des bédés. Mais allez dire cela à mon rédacteur en chef, il vous répondra comme à moi (sur un ton confus) que la création d’une nouvelle série demande un gros investissement financier et humain et qu’en ce moment la boite est submergée de travail. Et ce ne sont pas les lettres des lecteurs subjugués par mon travail qui le feront changer d’avis , car moi Hugo, j’ai mon site officiel sur le Net.

 

 

 

Pourtant je travaille , je passe prés de 12 heures par jour sur mes planches. Vous n’imaginez pas que, chaque soir, je me fais des massages de poignées pour éviter les courbatures. Bon c’est vrai que j’exagère un peu, mais pas tant que ça.

 

 

 

Et puis travailler dans un deux pièces délabré du 13 ème arrondissement de Paris, ce n’est pas toujours très facile. Il faut surtout de l’organisation donc connaître ses priorités. Moi qui ai axé ma vie sur une carrière de dessinateur (vous l’aurez compris) , j’ai, dés mon arrivée, fixé les limites : le salon cuisine pour dessiner , la chambre pour la documentation  et la salle de bain toilette réservée à l’hygiène et au lit.(c’est mon choix) . Et même si s’endormir sous la cuvette des toilettes peut réserver quelques surprises, je peux  affirmer que cette vie me convient.

Comme dit une pub à la télévision : « La vie est une question de priorités ».

 

 

 

            L’existence d’un dessinateur est une succession de choix, vous allez me dire que toutes les vies sont pleines de décisions , mais un dessinateur, en plus de devoir choisir ce qu’il va manger le soir ,  doit aussi décider dans sa bédé , si Monsieur Potatoes va faire une indigestion ou pas. Je vous demanderai donc d’admettre que ces lourdes responsabilités méritent plus de 660Euro par mois.

 

 

 

Il y a aussi la relation avec les outils de travail qui est très intéressante (en tout cas chez moi), car durant une euphorie incontrôlable , il m’est arrivé de déboucher une bouteille champagne en l’honneur d’un crayon de papier qui m’avait permis de décrocher un contrat avec une maison d’édition (bien sûr, c’est moi qui ai bu le champagne !), ou alors de ranger un stylo maudit au fond de son tiroir parce qu’ avec lui je dessine mal. C’est un peu comme un mariage ,  pour le meilleur et pour le pire.

 

 

 

Certain récit ou histoire peuvent avoir une trame compliquée et longue, celle-ci (c’est à dire la mienne) a l’avantage d’être courte précise et intéressante (en tout cas les journaux en parlent).

Mon histoire a commencé il y a 8jours au bureau d’édition de Delcort.

 

 

 

«  Monsieur Lebeau !», merde le Boss a utilisé le nom de famille ,ça veut dire que ça risque de chauffer pour mon grade .Et dans la salle, tout le monde le sait, il n’y a qu’à voir les regards désolés ou amusés qu’ils me lancent tous . Je peux vous dire qu’à la cantine ce midi , on va parler de moi. Et même si la majorité des employés sont des hommes, ce sont de véritables commères (des pipelettes, des piailleurs quoi !).

J’avance, donc, à petits pas, dans ce petit couloir illustré de petits cadres. Avec ma petite main, j’ouvre lentement la grande porte sur laquelle on peut lire « directeur général du secteur imprimerie et des relations publiques » , tous ces mots pour te faire comprendre avant d’entrer, qu’il a le pouvoir de te renvoyer. Derrière cette lourde porte, on peut distinguer , au fond de son grand bureau, un tout petit bonhomme de la taille du cigare qu’il fume (et j’eus du mal à  retenir un fou rire en pensant que le cigare aurait facilement pu le fumer ). Sa voix roque et intimidante me fait oublier l’idée de lui raconter ma blague (pourtant très drôle). Ses yeux globuleux me fixent et commencent à me faire peur ; derrière l’épais nuage de fumée, on peut distinguer un homme stressé et maladroitement habillé dans un costume taillé sur mesure pour Brad Pitt. Imaginez le spectacle.

A ma sortie du bureau, les poumons oxydés, je réalise, que le grand dessinateur que je suis, a écopé d’un reportage bidon au Louvre qui doit être bouclé pour 19 heures (un article bouche trou).

 

 

 

12 heures et 31 minutes : me voilà dans la rue en train de craquer des allumettes à la façon cow-boy. Enfin moi, je  trouve que cela  fait cow-boy , parce que mes potes appellent cette technique «  la technique du galérien » .

Cela consiste à mettre l’allumette de façon perpendiculaire au grattoir du paquet, puis à taper fort dans le bout de bois pour que celui-ci parte en l’air en s’enflammant. C'est ma seconde passion .

12 H 41 : après vingt allumettes de craquées, je m’assoie à un kebab , et commande un sandwich  « américain » et un coca.

12 H 43 : rendu de mauvaise humeur par une mayonnaise sans doute avariée, je retrouve le sourire en voyant Delphine ( une ex).

12 H 44 : d’un coup, crise de timidité due à des sentiments toujours présents en moi ( c’est le genre de moment où l’on aimerait avoir une orthophoniste à ses cotés pour qu’elle nous aide à dépasser le stade du oui / non.

12 H 45: je la laisse parler

12 H 55: malgré une prestation pathétique, je décroche un rendez vous à SON APPARTEMENT A 17H.

Ensuite, j’ai vaguement compris qu’elle partait en voyage et qu’ avant de partir, elle avait besoin de réconfort.

Et connaissant Delphine, ça veut dire ce qu’on comprend (enfin moi je vois ce qu’elle veut dire).

13 H 01: Delphine repart à ses préparatifs.

15 H 55: j’arrive au Louvre, c’est l’endroit le plus visité de Paris, c’est aussi le seul lieu au monde où l’on trouve plus de Japonais au mètre carré qu’à Tokyo.

16 H 00 : j’entre et me retrouve cerné par des tableaux  qui, à notre époque, seraient très appréciés pour faire les affiches de la chaîne XXL et des scultures très raffinées pour la remise des hots d’or à l’occasion du festival de Cannes.

16 H 15: que dire de ce musée, qu’il est inintéressant, qu’il ressemble à un labyrinthe, mais c’est le genre de critiques que les rédacteurs en chef ont du mal à publier.

Je regarde donc les tableaux vieux de deux siècles pour les moins poussiéreux, je passe devant l’exposition de l’ancienne Egypte, je continue en prenant à gauche puis deux fois à droite , et là, je tombe devant le tableau « le radeau de la méduse » (un des seuls tableaux que je connaisse).

Mais là encore, l’ennui commence à me gagner, je  recommence à craquer des allumettes et à faire peur aux vieilles dames (c’est un jeu très intéressant qui a l’avantage de faire passer le temps,  mais qui est quand même  un peu risqué car les parapluies sont très durs, même ceux en plastique).

Puis, après être passé sous trois portes qui pourraient laisser passer 3 sumos en même temps, je me retrouve face à la star du musée , la Joconde.

Ce serait une bonne illustration pour mon article. D’un coup, le « bip bip » de ma montre m’annonce, à ma plus grande surprise, qu’il est déjà 18 heures.

18  H 00 et quatre secondes, je craque mon énième allumette et je commence un énorme sprint dans le Louvre. Après m’être encore perdu, je croise à la sortie du musée un vigile qui me regarde affolé (je doit courir très vite !).

18  H 02 : je cours et à cet instant je regrette les bières et les whisky du samedi soir .

18 H 02 : je regrette aussi le kebab de ce midi.

18 H 15 : je m’arrête d’un coup sur le trottoir rue de la  Glacière, et je me rends compte que, depuis tout à l’heure, je cours rue Saint Jean , c’est à dire chez moi. Cinq minutes ont passées , j’arrive à mon appartement et après au moins dix minutes de recherche, je trouve enfin le numéro de Delphine, je fais son numéro. Et bien entendu, personne ne répond. Je raccroche le combiné . C’est alors que j’entends un bruit dans ma chambre et là, je dois admettre que j’ai vraiment cru qu’elle était sur mon lit, oui, j’aurai bien aimé.

A la place d’une jolie blonde décolorée, je trouve au chevet de mon lit mon radio réveil (que j’avais oublié d’éteindre ce matin), branché sur France Info. Un geste rageur allait s’abattre sur l’appareil quand j’entends une information qui me serre la gorge et qui  doit en serrer des milliers et peut être même des millions d’autres. Le genre de chose à laquelle on croit ne pas porter un grand intérêt et qui  nous fait un pincement au cœur lorsqu’elle disparaît . La première fois que ce sentiment m’avait envahit , c’était il y a 15 ans lorsque j’avais appris la destruction de la maison qui m’avait vu naître. Bien entendu , la nouvelle d’aujourd’hui m’avait moins chamboulé, mais j’avoue, qu’ apprendre que la Joconde avait été détruite,  m’avait presque fait oublier Delphine.

 

 

 

Retournant au salon cuisine pour  reprendre le téléphone, je suis interrompu par quelqu’un qui sonne à la porte. Décidé à faire attendre le visiteur, je reprends le téléphone. Mais un voix derrière la porte aboie  « OUVREZ ». Agacé, je repose le téléphone et me dirige vers la porte. Je l’ouvre . Cinq ou six agents de police étaient là sur le pas de ma porte .Je sais que mes voisins n’aiment pas la musique le samedi soir, que les murs sont mal insonorisés et que j’ai trois mois de loyer en retard. Mais malgré tout cela, je suis surpris de voir ces policiers armés  me braquer comme un chasseur braque un gros lièvre, le jour de l’ouverture de la chasse. En les dévisageant un par un, je peux lire, dans les yeux du flic au crane rasé, une furieuse envie de civet.

 

 

 

Me voilà donc condamné à dessiner toute ma vie pour rembourser un tableau qui m’aura coûté environ                30 millions d’euros (d’après mon avocat). 

 

 

 

 

 

 

                       FIN

Publié dans bddealga

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F
Merci pour ta visite .  Intéressant témoignage , bon courage !  _fybe!_
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